Réécrire Suckerpunch

Annonce standard: je n’ai pas la science infuse, ceci n’est que ma vision des choses et pas La Vérité (même si ça m’arrangerait bien).

Deuxième annonce standard: présence de spoilers.

Bon, j’ai donc dit à la fin de mon dernier article que pour moi, Suckerpunch rendrait mieux sous forme de série. Pourquoi? Comment? Etudions ça

Au final, Suckerpunch, c’est censé être quoi? Deux réponses, dont une méta:

– Un exercice de style pour Zack Snyder, l’occasion de tester un certain nombre de choses en termes de mise en scène. Un peu comme Dave Sim l’a fait avec sa série Cerebus (tous les quelques épisodes, il changeait radicalement la construction visuelle et le style de narration de son comic, et enfonçait les règles de narration acceptée jusque là).

– Un parcours initiatique pour l’héroïne. Dans l’idée, l’héroïne commence par échapper à une réalité dans laquelle elle est faible et impuissante, pour découvrir qu’elle avait les ressources pour s’en sortir en elle depuis le début.

Laisser-aller

Il y a un concept que j’ai rencontré dans les jeux, mais dont l’origine remonte aux tréfonds de la psychologie, c’est le concept de flow. En gros, l’état mental dans lequel se retrouve une personne lorsqu’elle est en état de concentration maximale. La concentration devient naturelle, et on finit par se laisser aller plutôt que de devoir se battre pour la maintenir comme dans certaines réunions. Idéalement, un film permet d’atteindre un état voisin de ça, où on vit le film.

Un passage obligé, c’est que l’esprit humain a besoin d’accepter un paradigme de base pour pouvoir se laisser aller. Même si celui-ci est différent de la vision ordinaire que l’esprit a du monde, il est possible de lui faire accepter un passe-droit temporaire. Un sorte de visa de tourisme, quoi. “Ok, dans cet univers, il est possible d’accéder aux rêves de quelqu’un si on est relié à lui par un câble”. Mais il a du mal à cumuler plusieurs passe-droits à la fois. S’il y a trop de paradigmes différents, (ou qu’il ne parvient pas à distinguer la base sous-jacente), il se rebiffe. Et sort de l’état nommé plus haut.

Ainsi, Inception gardait une certaine linéarité puisqu’on restait dans des univers ordinaires. Dans Suckerpunch, on change de règles toutes les 20 minutes.  On passe d’un asile à un bordel à un temple asiatique à du steampunk à du med-fan à de la SF, en revenant au bordel entre chaque. Or, “Tout peut arriver n’importe comment” n’est PAS un paradigme acceptable.

Et c’est là que le format de la série vient à notre secours. Une série, c’est des épisodes qui s’enchaînent, avec un début et une fin, idéalement (sauf dans Lost). Et qui dit début et fin, dit paradigme isolé. Ce qui permet de donner un thème à chaque épisode, de s’y coller, et surtout de se contenter de l’épisode. Fin de l’épisode, fin du visa. Et encore faut il une ligne directrice entre chaque: j’ai récemment parlé de la série Le Prisonnier avec Skoras. Sans entrer trop dans le détail ou les spoilers, cette série explore des thèmes proches de la folie, puisque le héros se trouve enfermé dans le Village, un lieu dont les règles de société sont assez différentes. Et chaque épisode est complètement délié des autres, à l’exception du fait qu’il se passe dans le Village. Tellement délié qu’on pourrait les regarder dans n’importe quel ordre que ça ne rendrait pas les choses plus compréhensibles. Très désagréable pour moi.

A ne pas confondre avec les séries comme Friends ou Mon Oncle Charlie. Dans ces séries, beaucoup d’épisodes peuvent être vus séparément des autres, sans qu’il y ait d’évolution du statu quo. Mais un paradigme reste le même, justement: les personnages ne changent pas. Dans Le Prisonnier, des personnages majeurs sont joués par des acteurs différents d’un épisode à l’autre >_<.

Donc, la ligne directrice (logique) sera: l’héroïne récupère des alliés et les objets lui permettant de s’enfuir de l’asile. Jusque là, on a pas réinventé grand chose. Mais ce serait bien qu’il y a des rappels des autres épisodes: les objets, des évènements, etc…

D’ailleurs, un autre aspect intéressant du format série, c’est l’effet des rappels et répétitions. Ce qui serait agaçant en apparaissant 15 fois dans un film a un autre charme quand il apparait une fois par épisode.. Le “I pity the fool” de Barracuda, ou “J’adore quand un plan se déroule sans accroc” de Hannibal dans l’Agence Tout Risque, par exemple, seraient très agaçant si, comme le “Oh, une dernière chose” de l’ange gardien de Suckerpunch, on les entendait pendant tout le film.

Code promotion

Je parlais d’exercices de styles au début de l’article, tout simplement parce que chacun des univers qui ont été visités dans le film (et ceux qu’on pourrait rajouter) ont leurs propres codes, officiels ou non. Notez que ces codes aident  justement à l’acceptation de paradigmes. Ça permet de prendre des raccourcis dans l’esprit des spectateurs, et d’éviter d’accrocher un possible écueil flottant dans leur compréhension.

Maintenant, ça veut pas forcément dire qu’on doit suivre ces codes à chaque épisode :p.

Donc, pour moi, chaque épisode doit avoir son thème majeur, et que la fin de l’épisode coïncide avec la fin de l’univers imaginaire. Et au centre, toujours présent, l’asile. Dans le film, l’asile disparaît au bout de 15 minutes, et réapparaît à la toute fin. Il surnage de temps à autres quand les filles se déplacent d’un endroit à l’autre: on en voit les murs décrépis (qu’on ne trouverait pas dans un bordel, même dans l’envers du décor). L’asile est en nuances de gris, très terne. De cette manière, le contraste avec les autres univers, très colorés, sépare les deux.

On notera que la réalité, au début, est en noir et en blanc, avec de forts contrastes, et qu’il n’y a aucune parole, que des bruits. On pourrait presque en faire un thème à part, avec l’arrivée à l’asile marquant la fin de l’épisode (ou alors, le moment où la lobotomie a lieu, comme dans le film), mais, même si ce serait des fins puissantes, il vaut mieux finir sur la note d’espoir du temple bouddhiste: L’héroïne a une solution, maintenant, comment y arriver?

Le bordel, qui devient la réalité de base dans le film, me gène parce qu’il brouille directement tout. La doctoresse, chef de l’asile, devient une simple professeur de danse complètement écrasée par le chef des internes devenu un mac à l’italienne. Et 3 filles meurent sans que ça soulève plus de questions que ça. Ça permet l’explication comme quoi Blondie danse (l’association danse <-> combat est un grand classique, aussi) et subjugue les gens, mais du coup, ça sous-entend aussi que les filles n’obtiennent les objets que par leurs charmes. Et je ne vois pas en quoi le fait d’être prostituée plutôt que folle est plus agréable à vivre pour l’esprit de Babydoll. J’en ferai un simple thème d’épisode, montrant peut-être que la hiérarchie officieuse n’est pas l’officielle, mais qui disparaîtrait à la fin de l’épisode. Après tout, on sait qu’il existe le “Théatre”, pièce où les filles revivent les scènes traumatisantes devant toute l’assemblée. On peut donc supposer que Babydoll raconte des histoires, et captive effectivement tout le monde. Ou, simplement, que les mondes imaginaires dans lesquels elle évolue sont son moyen de se cacher la réalité pour avoir le courage d’agir (un peu comme Daredevil se permet des acrobaties incroyables justement parce qu’il ne voit pas ce qu’il fait). La deuxième explication a ma préférence parce que Babydoll a un rôle autre qu’être simplement l’appât. Rien n’empêche qu’elle se serve d’une danse ou d’une histoire pendant un épisode.

Et, surtout, ça lie un peu plus réalité et imaginaire. Parce que dans le film actuel, les obstacles ne sont pas des symboles, c’est juste des occasions de tout faire péter. “Ne réveillez pas la maman dragon”. Ok, mais ça représente QUOI cette grosse bête?

Le temple bouddhiste est un démarrage parfait de parcours initiatique, puisque méditation, zen, tout ça tout ça. D’ailleurs, en mode suranalyse, la neige par terre a un côté labyrinthique (méandres de son esprit, labyrinthe dont elle doit s’échapper) et à a aussi le côté purification.

L’épisode 1 engloberait donc la réalité, l’asile, et le temple bouddhiste. Le bordel, lui, n’arriverait que plus tardivement dans les épisodes, avec la trahison de Blondie. Les autres mondes me conviennent tel que. C’est ce qui arrive dedans qui ne me convient pas. Mais avant de continuer par là, un crochet par les personnages.

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N’oublions pas qu’on est dans un asile. Et on peut espérer que toutes les filles n’aient pas été placées là par des membres de la famille désireux de s’en débarrasser (enfin, si, mais dans le but de les aider… Bref, vous voyez ce que je veux dire). On peut donc supposer qu’elles ont toute un (ou plusieurs) désordre mental. Et je pense que c’est pour ça que Snyder est passé par le bordel: pour éviter qu’on voit que les héroïnes ont des problèmes mentaux. Des pauvres filles bloquées dans un bordel et tentant de s’en sortir, ça doit être considéré comme ayant plus de sex pathos que des déséquilibrées se faisant la malle d’un institut qui est là pour empêcher la société d’avoir affaire à elle.

Et ben, nous, on va voir ce qu’on peut en faire.

On commence par Blondie (faudra leur trouver de meilleurs noms que ça, c’est des noms de scène inférieurs):

Voici Judas. C’est elle qui va tout foutre en l’air toute seule à la fin en se confiant au mac. J’en ferais une demoiselle avec un monstrueux complexe d’infériorité, qui se raccroche à la figure de puissance la plus proche. Volubile, elle aiderait à détourner l’attention des gens et son absence (en plus de la trahison par la suite) rendrait les scènes sans elle plus difficile. Ce serait aussi la première à suivre Babydoll quand elle exposera son plan, au contraire des autres qui n’arriveront que plus tard.

 

 

 

 

 

 

Amber:

Amber est la pilote du groupe. Le principe d’un pilote est de rester loin de l’action, d’amener les gens sur les lieux, les récupérer quand il faut, et être là en tant que soutien.

Je ferais d’Amber une obsessionnelle compulsive, perfectionniste, avec une excellente mémoire. Babydoll ne lui proposera pas de la rejoindre, c’est elle qui s’incrustera. Elle  apprendra la carte par coeur, ce qui se révélera utile puisque l’objet sera détruit plus tard…

 

 

 

 

 

Les deux soeurs, Sweet Pea et Rocket:

Dans le film, celle de droite (Rocket) ne sert à rien. C’est elle qui est partie de chez les parents, l’autre (Sweet Pea) l’a suivie pour la protéger. Rocket se fait exploser par des soldats zombies allemands, et Sweet Pea doit venir la protéger. Je sais plus ce qu’il se passe avec les orcs, mais Sweet Pea doit venir la protéger. Et contre les robots? Ben, Sweet Pea doit venir la protéger. Jusqu’à ce que Rocket se sacrifie pour sa soeur en prenant le couteau du cuisinier.

Vous avez remarqué un point commun dans ce que je viens de vous exposer?

Toutes les fois où Sweet Pea vient à la rescousse de Rocket se passent dans des mondes imaginaires (et rappelons le, dans la majorité de ces univers, ce qu’il s’y passe n’a rien à voir avec la réalité).

Je pense donc qu’en fait c’est Rocket qui s’est toujours occupée de sa soeur, qu’elle est totalement saine d’esprit alors que sa soeur est complètement mythomane et persuadée du contraire.

De plus, y a cet enfant, qu’elle voit vers le début et tout à la fin. Elle a dû avoir (et perdre) un enfant très jeune, ce qui explique bien des choses, tant son faux côté maternel envers sa soeur que sa folie tout court.

En plus, la mort de Rocket va l’envoyer dans une spirale infernale, et ça permettra de faire un épisode où les autres tentent de la délivrer alors qu’elle est au plus haut d’une tour, avec une thématique film de mousquetaires !

Bon, cet article commence déjà être long, donc on va s’arrêter là pour le moment. On se penchera de plus près sur un scénario la prochaine fois… On va juste finir sur quelques liens: des courts métrages liés aux différentes réalités:

Les samourai, le Dragon, les tranchées steampunk et le rail.

Et une interprétation intéressante (mais qui apparemment a nécessité plusieurs visionnages pour être construite).

 

2 Responses to “Réécrire Suckerpunch”

  1. Rince says:

    Merci au lien vers l'”interprétation intéressante”, elle m’a expliqué le film. Même si le film est fouillé scénaristiquement, il n’empêche que le visuel n’aide pas à comprendre. Pour du David Lynch, ça passe, c’est Lynch. Mais là non. Snyder nous a habitué à une toute autre narration. Son film est écoeurant à regarder. Bref ce film reste une semi-réussite.
    R.

  2. Modran says:

    Mmmh. Une interprétation qui nécessite plusieurs visionnages du film pour être mise en place, et qui est loin de tout expliquer, j’appelle pas ça “fouillé scénaristiquement”, personnellement. J’appelle ça “ne pas réussir à faire passer son message”…

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